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CHAT ET SOURIS Ray Cooney

Adaptation de Stewart Vaughan et Jean Christophe Barc

Les personnages :
JEAN, chauffeur de taxi
MATHILDE, épouse de Jean, habite à Montreuil
CHARLOTTE, épouse de Jean, habite à Ivry
ALIXfille de Jean et Mathilde
GUILLAUME, fils de Jean et Charlotte

L’action se déroule dans la maison de Jean et Mathilde Martin, à Montreuil, et simultanément dans la maison de Jean et Charlotte Martin, à Ivry.
Souvent, au cours de l’action, les personnages jouent en même temps dans les deux lieux, mais s’ignorent mutuellement.
Quand le rideau se lève, la scène est vide.
C’est le milieu de l’après-midi, par une belle journée d’été. Après un instant, Guillaume Martin entre dans la salle à manger. Il a seize ans. Il tient à la main une feuille de papier A4 qu’il regarde avec enthousiasme. Il vient de l’imprimer à partir de son ordinateur.
GUILLAUME : (il appelle) Maman !
Alix Martin arrive de sa chambre. Elle aussi tient une feuille A4, qu’elle vient d’imprimer à partir de son ordinateur, et qu’elle regarde avec autant d’enthousiasme. Alix a quinze ans. Guillaume étant à Ivry et Alix étant à Montreuil, ils s’ignorent.
ALIX : (elle appelle) Maman !
GUILLAUME et ALIX  : (ils se croisent au milieu de la scène et s’arrêtent ensemble) Maman !
GUILLAUME :(à la porte) Maman !
ALIX :(à l’autre porte) Maman !
Charlotte paraît à la porte de sa chambre. Elle porte une robe de chambre. Alix revient vers le milieu de la scène.
CHARLOTTE : (à Guillaume) Guillaume ! J’allais prendre ma douche…
ALIX :Maman !
CHARLOTTE :… Tu sais que je sors avec ton père ce soir !
GUILLAUME :Je sais, mais…(agitant la feuille) Regarde ! C’est incroyable !
CHARLOTTE :Oui, Guillaume… pas maintenant !
ALIX :(Apercevant sa mère par la porte de la cuisine) Ah, maman !
GUILLAUME :Attend ! J’en ai pour deux secondes.
Guillaume prend Charlotte par le bras et l’attire vers le canapé. En même temps, Mathilde paraît à la porte de la cuisine.
MATHILDE : (à Alix) Il faut que je finisse les sandwiches de ton père.
Alix prend sa mère par le bras et l’attire vers le canapé.
ALIX :Tu vas voir, c’est génial !
MATHILDE : Il part dans cinq minutes.
CHARLOTTE : Il arrive dans dix minutes.
ALIX :Donne moi une minute.
GUILLAUME : Ecoute ça !
MATHILDE : Oh, Alix !
CHARLOTTE :Oh, Guillaume !
GUILLAUME :(à Charlotte) Tu vas pas me croire !
ALIX :(à Mathilde) Tu vas voir ! C’est incroyable !
GUILLAUME :Je viens de recevoir un mail d’Alix.
ALIX : J’ai reçu un mail de Guillaume.
CHARLOTTE :Alix…c’est qui ?
MATHILDE : Guillaume… qui ?
GUILLAUME : Mais je te l’ai déjà dit…
ALIX : Je t’en ai parlé hier.
GUILLAUME :On s’est rencontrés sur un chat.
ALIX :C’était sur Internet.
GUILLAUME : Alix Martin.
ALIX : Guillaume Martin.
MATHILDE :Guillaume Martin ?
CHARLOTTE : Alix Martin ?
GUILLAUME : et ALIX : Oui !
MATHILDE  et CHARLOTTE : Et alors ?
GUILLAUME :Tu vas comprendre…
MATHILDE : Je vais t’expliquer !
GUILLAUME : On trouvait ça marrant…
ALIX : C’est une sacrée coïncidence !
GUILLAUME et ALIX : … qu’on s’appelle tous les deux « Martin ».
CHARLOTTE :Mais il y en a des tonnes de Martin.
GUILLAUME :Oui, mais quand je lui ai dit que mon père s’appelait Jean…
ALIX :Et son père s’appelle Jean, alors…
MATHILDE :Il doit y avoir des milliers de Jean Martin en France…
GUILLAUME :…on a décidé de s’envoyer nos mails.
ALIX :Alors, on a échangé nos mails.
MATHILDE  et CHARLOTTE :Et alors ?
GUILLAUME :Et tu sais ce qu’il fait, le père d’Alix ?
ALIX :Et devine ce qu’il fait, le père de Guillaume.
Charlotte et Mathilde haussent les épaules.
GUILLAUME et Alix : (ensemble) Chauffeur de taxi !
MATHILDE  et CHARLOTTE : (ensemble) Non !
GUILLAUME et Alix : (ensemble) Mais si !
GUILLAUME :Alix habite Montreuil.
ALIX :Guillaume habite Ivry.
Ensemble.
MATHILDE :C’est pas vrai ?!
CHARLOTTE :C’est pas possible ?!
GUILLAUME :Tu trouves pas ça incroyable !?
ALIX :C’est fou, non !?
MATHILDE : Plutôt, oui.
CHARLOTTE :Effectivement.
MATHILDE : (elle se ressaisit, regarde sa montre) Ecoute, je n’ai pas le temps d’en parler maintenant. Je dois préparer les sandwiches de ton père.
CHARLOTTE :(regarde sa montre) Ecoute. Ton père va arriver. Ne le fatigue pas avec ça, il trouve déjà que tu passes trop de temps devant ton ordinateur.
Mathilde et Charlotte se lèvent en même temps.
GUILLAUME :Attends, j’ai pas fini. Comme on n’habite pas loin…
ALIX :Et comme Ivry, c’est la porte à côté…
GUILLAUME :… on a décidé de se rencontrer.
CHARLOTTE :(affolée ; s’assoit) Quoi ?!
ALIX :… je l’ai invité ici.
MATHILDE :(affolée ; s’assoit) T’es folle ?
GUILLAUME : Ça pose un problème ?
ALIX : Il a l’air vraiment sympa, maman.
CHARLOTTE : Mais…mais tu ne connais rien d’elle.
MATHILDE : Et…et comment sais-tu que c’est un garçon de ton âge ?
CHARLOTTE  et MATHILDE : (ensemble) T’aurais dû en parler à ton père.
GUILLAUME : Oh, t’es reloud là !
CHARLOTTE :Tu me parles sur un autre ton… et en français !
ALIX : J’ai quand même quinze ans.
MATHILDE :Justement.
GUILLAUME : J’ai seize ans.
CHARLOTTE : Et alors ?
GUILLAUME : En pleine journée à Montreuil, je risque pas de me faire enlever !
ALIX :Qu’est-ce qui peut m’arriver ici, à la maison ?
CHARLOTTE  et MATHILDE : (ensemble) Demande, d’abord, à ton père.
Charlotte se lève et va vers la chambre. Mathilde se lève et se dirige vers la cuisine.
GUILLAUME :Franchement, t’es pas cool !
ALIX :Oh mais… maman !
MATHILDE :(s’arrête et se retourne) Il va bientôt s’en aller !
CHARLOTTE : (s’arrête et se retourne) Il ne devrait pas tarder !
Guillaume s’en va dans sa chambre.

Jean Martin, un homme très ordinaire mais de bonne humeur, sort de la chambre des parents, puis Charlotte y entre. Ils se croisent, mais ne réagissent pas l’un à l’autre, car ils sont dans deux maisons différentes.
JEAN :Bon. Je m’en vais, chérie !
MATHILDE :Attends, je vais finir tes sandwiches. Je t’ai mis un reste de quiche aussi… Ça te va ?
JEAN :(avec entrain) Ça me va !
MATHILDE :(à Alix) Vas-y ! Demande à ton père.
Mathilde par dans la cuisine.
ALIX : Mais pourquoi ? C’est pas un trafiquant de drogue que je vais voir.
JEAN :C’est quoi, alors ?
ALIX : Je t’en avait parlé.
JEAN : Ah, bon ?
ALIX :Tu vois, t’écoutes jamais. C’est le garçon que j’ai rencontré sur Internet.
Pendant le dialogue qui suit, Jean s’habille pour sortir.
JEAN :(absent) Ah, oui.
ALIX :Il s’appelle comme moi.
JEAN :Il s’appelle Alix ?
ALIX :Mais non ! Martin ! Mais y a encore mieux !
JEAN :Ben, s’il y a mieux, tant mieux. (il ouvre la porte de la cuisine) Mathilde, tu pourrais me mettre une tablette de chocolat. (à Alix) Mieux que quoi ?
ALIX :La coïncidence.
JEAN :(il regarde sa montre) Il faut vraiment que je file. (Il fait un bise à Alix) Je t’écoute.
ALIX : Non seulement son nom est Martin, mais son père s’appelle Jean Martin, et il est chauffeur de taxi… Et il a le même âge que toi… Et il habite la porte à côté. A Ivry. Il a l’air super sympa, il a seize ans, et je suis sûre qu’il est très grand et super mignon.
JEAN :(va vers Alix ; affirmatif) Guillaume Martin n’est ni grand ni super mignon !
ALIX : T’en sais rien, toi… ! Et comment tu sais son nom ?
JEAN : Parce que…parce que… tu m’en as parlé hier.
ALIX : Mais tu t’en souvenais pas.
JEAN : Ben, maintenant je m’en souviens, et il faut que ça s’arrête tout de suite.
ALIX : Comment ça ?
JEAN : Je te l’interdis.
ALIX :Tu m’interdis quoi ?
JEAN :Tout. Tout ce que tu fais avec lui.
ALIX : Mais on n’a rien fait du tout.
JEAN : Eh bien, c’est déjà trop. Je ne veux pas que ma fille passe son temps à nager sur le Net…
ALIX : Surfer.
JEAN : Quoi ?
ALIX : Surfer, pas nager.
JEAN : C’est la même chose…nager sur le Net avec des vicelards boutonneux, avec des…des…lunettes épaisses sur le nez, derrière lesquelles ils ont les yeux injectés de sang, rivés à l’écran, dans des réduits obscurs, étouffant dans des nuages épais de cigarettes… quand ce n’est pas de l’herbe ou pire…
ALIX : Papa, tu délires.
JEAN : Je délire pas du tout. J’ai toujours su que ces machines étaient dangereuses. Je le disais justement hier à Guill…Guill…à ton oncle Gilbert. Les enfants passent des heures, le nez collé à l’écran, à dialoguer comme des tordus avec des cinglés virtuels, au lieu de sortir avec des vrais jeunes gens de leur âge.
ALIX : Guillaume n’est pas un cinglé. C’est un garçon de mon âge super réel. Et je suis sûre que son père ne va pas réagir comme toi.
JEAN : Ah là ! Je peux t’assurer que si !
ALIX : N’importe quoi ! Pis nous, on va pas passer notre temps à chatter devant nos ordinateurs parce que, comme il habite la porte à côté, je l’ai invité ici, Voilà !
JEAN : (il sursaute) Tu as fais quoi ?!
Mathilde entre avec une boîte en plastique.
MATHILDE : Ça va chéri ?
Jean change de registre.
JEAN :Oui. Oui. Tu peux nous laisser. Je m’en occupe, t’inquiète pas.
MATHILDE :Pourquoi je devrais m’inquiéter ?
Jean repousse Mathilde vers la cuisine.
JEAN :Pour rien. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter. Alors, tu veux bien retourner dans ta cuisine…
MATHILDE :Je n’ai plus rien à faire dans la cuisine.
Elle lui tend la boîte en plastique.
JEAN :(soupèse la boîte en plastique) C’est pas un peu léger ? T’aurais pas un peu de … ?
MATHILDE :Un peu de … ?
JEAN :…Chais pas, un truc…tu vas trouver !
ALIX :(à Mathilde) Maman, dis-lui que je peux voir Guillaume.
JEAN :(à Alix) Ça n’a rien à voir avec ta mère.
MATHILDE :Je lui ai dit qu’il fallait qu’elle te demande.
JEAN :Tu as eu raison !
MATHILDE :Pour le principe.
JEAN :(A Alix ; ahuri) Il part d’Ivry ?
ALIX :Oui.
JEAN :(A Alix ; ahuri) Pour débarquer ici, à Montreuil ?
ALIX :Oui. Il sera là à 16h30.
JEAN :Tu l’appelles.
ALIX :Quoi ?
JEAN :Dis-lui qu’il ne peut pas venir.
ALIX :Pourquoi ?
JEAN :Parce que je te le dit.
MATHILDE :(A Alix) Tu vois, chérie, qu’il fallait demander à ton père.
ALIX :Maman ! Tu me soûles !
JEAN :Ne parle pas comme ça à ta mère ! Tu vas pas fréquenter ce mec, un point c’est tout !
ALIX :Mais on va juste prendre un café, bavarder un peu…
JEAN :Prendre un café ! Bavarder un peu ! Tu parles ! C’est comme ça que tous les problèmes commencent ! J’en sait quelque chose. Tu l’appelles et tu annules tout.
ALIX : Non !
JEAN :Bon, moi, je vais l’appeler ; et toi, tu vas lui dire que, s’il se pointe ici, ton père va lui administrer une bonne fessée.
Il prend le téléphone, tend le combiné vers Alix et commence à faire le numéro.
ALIX :Vas-y ! Tu connais pas son numéro.
Jean se rend compte et s’arrête. Un temps.
JEAN :Oui. Tu as raison. (il raccroche) C’est quoi ?
MATHILDE :Jean, tu vas être en retard. Je vais l’appeler, moi, la mère du jeune homme.
JEAN :Mais, pas du tout ! C’est Alix… qui va l’appeler tout de suite, et qui va lui dire, que s’il continue ce harcèlement…je préviens la police !
ALIX : Mais papa !
MATHILDE : Jean, du calme ! C’est pas bon de t’énerver avant de prendre le volant !
JEAN :Je ne m’énerve pas avant de prendre le volant, parce que je ne vais pas prendre le volant ! Je ne bouge pas d’ici tant qu’on n’a pas réglé la question de ce garçon !
Jean s’assoit sur le canapé.
ALIX :La question est réglée. Il vient me voir, et on va prendre un café ensemble. Point !
JEAN :Alix ! (il se lève) Retourne dans ta chambre !
ALIX :(à Jean)  T’es  pas sérieux.
JEAN :File dans ta chambre, immédiatement !
ALIX :(en larme) T’es un salaud.
Mathilde passe devant Jean pour réconforter Alix.
MATHILDE :(A Alix) Alix ! (A Jean) Ecoute, Jean. Laisse-moi appeler sa mère. Je suis persuadée qu’elle saura expliquer à son fils pourquoi tu ne veux pas qu’Alix et lui se rencontrent.
JEAN :Tu ne vas pas appeler la mère de ce garçon. Un garçon de son âge devrait être en train de faire ses devoirs, au lieu d’emmerder les dix mille Martin de la région parisienne. Et quand je le verrai, je lui dirai moi même !
MATHILDE :Tu vas le voir comment, puisqu’il ne vient pas ?
JEAN :C’est bien ce que je dis.
Guillaume sort de sa chambre (qui est aussi celle d’Alix).
GUILLAUME :(il appelle) Maman !
ALIX :T’es un vrai con !
Alix va dans sa chambre et claque la porte.
MATHILDE :(elle court après Alix) Alix !
En même temps Charlotte, en robe de chambre et pantoufles, sort de la chambre des parents.
CHARLOTTE : Qu’est ce qu’il y a ?
GUILLAUME : Papa est rentré ?
CHARLOTTE : Non, justement. Il est en retard.
MATHILDE :(à Jean ; d’un ton irrité) Tu vois ce que tu as fait ? (Elle lui donne le tupperware) Tu t’en vas maintenant, ou ton tupperware est toujours trop léger ?
JEAN :(il le soupèse et le lui redonne) Trop léger, oui ! Il faut que je prenne des forces.
Jean pousse Mathilde vers la cuisine.
GUILLAUME :Maman, j’y vais. Tu diras à papa pour le père d’Alix.
CHARLOTTE :Non, Guillaume, il y a des choses pas nettes qui se passent sur ce fameux Net. Ton père va être là d’un instant à l’autre. Je préfère que tu lui demandes. Et maintenant, tu me laisse tranquille, ou je vais être en retard.
MATHILDE :Jean, ce que tu es pénible aujourd’hui !
GUILLAUME :Oh maman, ce que tu peux être pénible aujourd’hui !
Guillaume part dans sa chambre, de mauvaise humeur. Charlotte part dans la sienne. Mathilde va dans la cuisine. Jean se retrouve seul au milieu du salon.
JEAN : Oh, mon dieu ! Guillaume ce que tu peux être emmerdant !

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