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LA PHARMACIE Karl Valentin
Ce texte est extrait du Théâtre complet de Karl Valentin, traduit par Jean-Louis Besson et Jean Jourdheuil et publié en quatre volumes aux Éditions Théâtrales. "Le Bastringue et autres sketches", " La Sortie au théâtre et autres textes", "Vol en piqué dans la salle", "Le Grand Feu d'artifice".
VALENTIN : Bonjour, Monsieur le pharmacien.
KARLSTADT : Bonjour, monsieur, vous désirez?
VALENTIN : Ben, c'est difficile à dire.
KARLSTADT : Ah! ah!, sûrement un mot latin?
VALENTIN : Non, non, je l'ai oublié
KARLSTADT : Bon, on va bien le retrouver, vous n'avez pas d'ordonnance?
VALENTIN : Non!
KARLSTADT : Qu'est-ce que vous avez?
VALENTIN : Eh bien, c'est l'ordonnance, c'est l'ordonnance que je n'ai pas.
KARLSTADT : Non, je veux dire, vous êtes malade?
VALENTIN : D'où vous vient cette idée. Est-ce que j'ai l'air malade?
KARLSTADT : Non, je veux dire, le médicament est-il pour vous ou pour une autre personne?
VALENTIN : Non, pour mon enfant.
KARLSTADT : Ah bon, pour votre enfant. C'est votre enfant qui est malade. Qu'est-ce qu'il a, cet enfant?
VALENTIN : L'enfant, c'est sa mère qu'il n'a pas.
KARLSTADT : Ah, l'enfant n'a pas de mère?
VALENTIN : Si, mais pas une vraie mère.
KARLSTADT : Ah bon, l'enfant a une belle-mère.
VALENTIN : Oui, oui, hélas, la mère est belle, mais ce n'est pas la vraie et c'est pour ça qu'il aura pris froid.
KARLSTADT : Il tousse, cet enfant?
VALENTIN : Non, il crie seulement.
KARLSTADT : Peut-être a-t-il des douleurs?
VALENTIN : Possible, mais c'est compliqué. L'enfant ne dit pas où ça lui fait mal. Sa belle-mère et moi, on se donne la plus grande peine. Aujourd'hui j'ai dit à l'enfant: si tu dis bien gentiment où ça te fait mal, plus tard tu auras une belle moto.
KARLSTADT : Et puis?
VALENTIN : L'enfant ne le dit pas, il est complètement borné.
KARLSTADT : Quel âge a-t-il donc, cet enfant?
VALENTIN : Six mois.
KARLSTADT : Voyons, à six mois un enfant ne sait pas encore parler.
VALENTIN : Ça non, mais il pourrait tout de même montrer où il a des douleurs, si un enfant sait crier comme ça, il devrait pouvoir montrer où se trouve le foyer de la maladie, pour qu'on le sache.
KARLSTADT : Peut-être qu'il a toujours les doigts dans la bouche?
VALENTIN : Oui, exact!
KARLSTADT : Alors, c'est qu'il est sur le point d'avoir ses premières dents.
VALENTIN : Les avoir de qui?
KARLSTADT : De la nature.
VALENTIN : De la nature, c'est bien possible, mais alors il n'a pas besoin de crier, parce que quand on va avoir quelque chose on ne crie pas, on se réjouit. Non, non, l'enfant est malade et ma femme a dit: va à la pharmacie et rapporte ...?
KARLSTADT : De la camomille?
VALENTIN : Non, ce n'est pas quelque chose qui se boit.
KARLSTADT : Peut-être a-t-il des vers, l'enfant?
VALENTIN : Non, non, on les verrait.
KARLSTADT : Non, je veux dire, à l'intérieur.
VALENTIN : Ah bon, à l'intérieur, là on n'a pas encore regardé.
KARLSTADT : Ah, mon cher monsieur, c'est une affaire difficile pour un pharmacien
quand on ne lui dit pas ce que veut le client!
VALENTIN : Ma femme m'a dit, si je ne sais plus le nom, je dois vous donner le bonjour de l'enfant, de ma femme plutôt, et l'enfant ne peut pas dormir, il est toujours terriblement agité.
KARLSTADT : Agité? Mais alors prenez un calmant. Le mieux peut-être : Isopropilprophemilbarbituracidphénfldiméthildimenthylaminophirazolon.
VALENTIN : Vous dites?
KARLSTADT : Isopropilprophemilbarbituracidphénildiméthildimenthylaminophirazolon.
VALENTIN : Comment ça s'appelle?
KARLSTADT : Isopropilprophemilbarbituracidphénfldiméthildimenthylaminophirazolon.
VALENTIN : Ouiii! C'est bien ça! Si simple et on n'arrive pas à s'en souvenir!
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