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ESPECES MENACEES Ray Cooney

Scène de l’annonce du (faux) décès…

MARIE : (Dans son dos est apparu sur le pas de la porte d’entrée l’inspecteur Renard. Il porte un imperméable et tient, à la main, une serviette, semblable à celle d’Yvon. Il   a l’air sombre. Il tousse pour attirer l’attention de Marie. Elle sursaute). Ah ! (L’apercevant).  Oh, mon dieu !
RENARD : Désolé.
MARIE : Vous m’avez fait peur. (Elle cache sa serviette derrière son dos.)
RENARD : Vous êtes Madame Lemouël ?
MARIE : Euh…Oui. Pourquoi ?
RENARD : La porte était ouverte. Je peux entrer ? (Renard referme la porte et pendant qu’il a le dos tourné, Marie glisse la serviette derrière le canapé.)
MARIE : Euh…C’est-à-dire, je…De quoi s’agit-il ? Vous vendez quelque chose ?
RENARD : Non madame. (Il se présente) Inspecteur Renard.
MARIE : Vous inspectez quoi ?
RENARD : Les gens. Je suis de la police. (Il montre sa carte). Commissariat de Champigny.
MARIE : Champigny ?
RENARD : Oui madame.
MARIE : Pas Saint-Maur ?
RENARD : Non, madame. Est-ce que vous voulez bien vous asseoir ?
MARIE : Non je préfère rester debout. C’est au sujet de monsieur Lemouël ?
RENARD : Oui. Et je pense qu’il serait préférable que vous vous asseyiez.
Il fait asseoir Marie sur le canapé.
MARIE : Et vous, vous voulez voir mon mari pour quoi, exactement ?
RENARD : C’est vous que je suis venu voir, madame Lemouël.
MARIE : Moi ?
RENARD : (Il s’assoit sur le pouf). Oui. Je suis désolée mais j’apporte d’assez mauvaises nouvelles.
MARIE : Ah, bon ?
RENARD : Vous vous demandez, sans doute, pourquoi votre mari n’est pas rentré ce soir ?
MARIE : Non. Euh…oui j’étais inquiète, mais…
RENARD : Vous aviez raison d’être inquiète… Nous craignons que monsieur Lemouël n’aille pas très bien…même pas du tout.
MARIE : Ah, ça oui…
RENARD : En fait nous avons peur que monsieur Lemouël ne soit, comment dire, décédé.
Marie n’a aucune réaction. Elle regarde en direction de la cuisine, puis vers Renard.  
MARIE : Monsieur Lemouël est décédé ?
RENARD : Il m’est pénible de vous annoncer ça aussi brutalement, mais nous allons avoir besoin de votre présence pour identifier le corps d’une manière formelle. Il s’agit d’un meurtre.
MARIE : Ecoutez. Ca doit être une erreur…
RENARD : Voulez vous que je vous prépare un café, madame Lemouël ?
MARIE : Un café ?
RENARD : Ou un thé, une infusion, quelque chose de chaud et de sucré. Ca aide dans ces moments là. (Il se lève).La cuisine se trouve… ?
MARIE : Non ! Non. J’aimerai que …vous …Qu’est ce qui vous donne l’impression qu’Yvon est mort ?
RENARD : Surtout les deux balles de magnum 357 qu’il a dans la nuque. (Double regard de Marie vers la cuisine puis vers Renard). Et le fait qu’on a repêché son corps inanimé dans la Marne. (Marie, même jeu). Avec les jambes attachées avec du fil de fer.
MARIE : Les jambes ?
RENARD : Les bras aussi.
MARIE : Les bras ?
RENARD : Et les pieds, eux, étaient coulés dans du béton.
MARIE : Alors, ce n’est pas un accident ?
RENARD : Jusqu’à présent, nous n’avons pas retenu cette hypothèse. Je vais vous faire un café.
(Il se lève).
MARIE : Non !  … Non… Je préfèrerais quelque chose de …plus fort…
Elle indique la desserte de boisson.
RENARD : Vous êtes sure ? Après un choc, ce n’est pas trop conseillé pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude…
MARIE : Il faut que je commence à la prendre. (Renard lui sert un cognac. Elle le descend cul sec). Servez-vous.
RENARD : Jamais pendant le service madame.
MARIE : Je le boirai pour vous. (Elle lui tend son verre vide. Après un instant d’hésitation, il lui reverse un cognac). Mais qu’est ce qui vous fait penser que c’est mon mari ?
RENARD : (Il se rassoit). Sa serviette. Attachée également à son poignet avec du fil de fer.
MARIE : Sa serviette ?
RENARD : C’est bien la serviette de votre mari, madame Lemouël ?
MARIE : Ca y ressemble, oui.
(Renard pose la serviette sur la table basse devant Marie. Marie la touche). Elle est un peu mouillée.
RENARD : Elle était dans la Marne.
MARIE : C’est ça.
RENARD : Vous pouvez l’ouvrir. (Marie hésite, puis l’ouvre tandis que Renard s’assoit à côté d’elle sur le canapé). Ce sont bien les affaires personnelles de monsieur Lemouël ?
Il sort une paire de gant et une écharpe.
MARIE : Apparemment, oui.
RENARD : Votre mari travaillait pour le cabinet d’experts-comptables Lejeune et Constant, n’est-ce pas ?
MARIE : Oui, dans le huitième.
RENARD : 64 rue de Marignan. (Il sort des papiers). Il y a des lettres à son nom : Yvon M. Lemouël. C’est bien lui.
MARIE : Oui Yvon Marie Lemouël.
RENARD : Et puis, dans son agenda, il y a une liste de tous les employés avec leurs numéros personnels, y compris le sien. Vous êtes sur liste rouge mais, bien sûr, nos services ont retrouvé très facilement votre adresse. Il y avait également ceci… (Il défait une serviette en papier humide qui entoure un sandwich)… Gruyère-tomate, je pense.
MARIE : Il me dit qu’il adore ça mais il ne le finit jamais… 
RENARD : On va donc avoir besoin de vous pour l’identifier formellement.
MARIE : Je comprends, oui. Il a dû beaucoup gonfler mais c’est un gruyère-tomate. Je le reconnais. 
RENARD : Non, je parle du corps. Je peux vous emmener dans ma voiture ; il y en  a pour dix minutes.
MARIE : Très bien. Passez devant. Je vais chercher mes affaires.
RENARD : Vous ne voulez pas que je reste à vos côtés ? Vous avez l’air un peu …
MARIE : Non c’est de voir cette serviette.Ca me retourne…
RENARD : Je comprends, oui. Est-ce qu’il y a quelqu’un pour vous soutenir ?
MARIE : Euh…Oui, justement, j’ai ma sœur et son mari.
RENARD : Bien. Comme ça vous ne serez pas seule ce soir.
MARIE : Non, non, Lily et Maurice sont là-haut dans leur chambre.
RENARD : Parfait. Ecoutez je vais vous laisser en famille quelques minutes. Le temps que vous leur annonciez la triste nouvelle. J’attends dans ma voiture.

(Yvon sort de la cuisine).
YVON : Je le crois pas! Il manque trois billets de cinq cents…Putain, il a l’œil… (Il aperçoit Renard). Oh…
MARIE : Yvon ! …Yvon…Y vont être atrocement peinés d’apprendre ça, Lily et Maurice, là-haut…Ce monsieur est inspecteur de police.
YVON : La police … de Saint-Maur ?
RENARD : Non, Champigny. Inspecteur Renard.
YVON : Ah bon. Il y a un problème avec ma femme ? Tu as fait une bêtise ma chérie, tu sais que…
MARIE : Tu vas avoir du mal à croire ce qu’il vient de me dire.
RENARD : Vous êtes sûre que ça va, madame ? Vous ne voulez pas vous asseoir un moment ?
MARIE : Merci, je préfère rester debout.  Je pourrai me servir plus facilement. J’en aurai peut-être besoin. Elle se place près de la desserte.
YVON : Bon, inspecteur. Quel est le problème ? Je suis monsieur Lemouël.
MARIE : Qu’est ce que je disais …Elle se sert.
RENARD : Ah ! Un parent ?
YVON : Un parent de qui ?
RENARD : Un parent de monsieur Yvon Marie Lemouël.
YVON : Mais, je suis …
MARIE : (Le coupant) …C’est effectivement un parent…Le plus proche (A Renard)…C’est son frère. Marie s’interpose entre les deux hommes. La boisson commence à faire son effet.
YVON : Je suis son frère.
MARIE : Oui. Je vous présente le frère de ce pauvre Yvon…Frédéric.
RENARD : Ah ! Eh bien, j’ai une pénible nouvelle à vous annoncer, monsieur Lemouël.
YVON : Oui. J’en ai peur…
RENARD : Vous préférez peut-être lui dire, madame, ou… (Marie décline). Monsieur Lemouël, nous avons toutes les raisons de croire que votre frère, monsieur Yvon Lemouël est décédé.
MARIE : (A Yvon) Je t’avais dit que tu aurais du mal.
YVON : Effectivement.
RENARD : Un meurtre.
YVON : Vous en êtes sûr ?
RENARD : On l’a retrouvé au fond de la Marne, avec deux balles dans la nuque, ligoté et cimenté. Nous ne croyons pas à l’accident…Ni au suicide.
YVON : Ah ! Oui mais je voulais dire : comment pouvez-vous être certain que c’était moi…mon frère.
RENARD : (montrant la serviette). Ouvrez cette serviette.
YVON : (Croyant qu’il s’agit de la serviette remplie d’argent) Non, non, c’est pas la peine de l’ouvrir ! Non c’est trop frais ! Ca va me retourner…
MARIE : Non c’est la serviette de ce pauvre Yvon, qu’on a retrouvée attachée à son poignet dans la Marne.
YVON : Ah !
RENARD : Puisque vous êtes là, on pourrait peut-être éviter cette épreuve à madame Lemouël. En tant que frère du défunt, vous pourriez venir identifier le corps à sa place.
YVON : Ca va me faire tout drôle d’identifier le corps d’Yvon Lemouël.
MARIE : (s’accrochant au bras d’Yvon). Oh, non ! Yvon ne me laisse pas seule.
YVON : Mais non, Yvon est parti Marie. On ne peut plus rien pour le faire revenir. C’était un bon comptable. Le bilan est positif. Il est sûrement au ciel. Mais ne t’inquiètes pas, tu peux compter sur moi maintenant. Son petit frère Frédo est là pour t’aider. (A Renard) Je vous prie d’excuser ma femme… (Il se rend compte de ce qu’il vient de dire) de ne pas être là…dans un moment pareil. Mais elle se repose, Geneviève, c’est mon épouse, Geneviève. Nous rentrons ce soir pour la Réunion…Nous travaillons dans l’aquaculture là-bas… Nous étions venus passer quelques jours à Saint-Maur, avec Yvon et Marie. Pauvre Yvon…Pauvre Geneviève…Ca va lui foutre un coup !
MARIE : Ca oui. Et il va falloir aussi annoncer ça à Maurice et Lily, Frédo.
YVON : C’est bien ce qui me fait peur ! Ils étaient très proches. Vous savez, je pense que la meilleure solution ça serait de réunir toute la famille autour d’un bon grog, bien sucré, comme on fait chez nous dans les îles, quand on a un gros pépin. Installez-vous dans la salle manger, monsieur l’inspecteur ; on vous rejoint. Yvon ouvre la porte de la salle à manger. 
RENARD : Vous savez, madame Lemouël, vous avez beaucoup de chance dans votre malheur d’avoir autant de monde autour de vous, dans un moment pareil.
MARIE : C’est vrai, une famille comme ça, on a du mal à croire que ça existe…

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